RACONTEZ-MOI LES FLAMBOYANTS

Histoire de l’oeuvre

Quand sort en librairie Racontez-moi les flamboyants, Christine de Rivoyre a 75 ans et derrière elle une oeuvre importante, plébiscitée à la fois par la critique et le public. Elle va offrir à ses lecteurs un de ses chefs d’oeuvre, un « roman » – puisque c’est ainsi qu’elle le désigne – qui brasse les grands « sujets » de son oeuvre (l’enfance, la guerre, la famille, la bourgeoisie bordelaise) et où l’on retrouve toutes les caractéristiques de son style alliant humour, précision des termes et goût des images inattendues dans un récit à la fois drôle et féroce d’inspiration largement autobiographique.  Le titre lui a été inspiré par un de ses séjours en Inde où la brusque floraison des flamboyants, ces arbres aux fleurs d’un rouge incendiaire, l’avait impressionné. Il fait référence au personnage principal du récit, Edwina, condamnée à rêver sa vie par le mensonge, comme une métaphore de la création littéraire. Ce sera le dernier « roman » que Christine de Rivoyre publiera, ce qui lui confère peut-être un caractère testamentaire.

 

Au fil de l’oeuvre

L’histoire se passe entre Bordeaux, les Landes et Paris sur une période qui va des années 30 à l’époque contemporaine. Le récit foisonnant qui multiplie les digression et les interventions d’auteur est raconté à travers le regard d’une jeune fille de treize ans qui ressemble à s’y méprendre à la romancière (même milieu, même famille, même carrière, même caractère sans doute). Les personnages principaux en sont Charlotte, reine de Bordeaux dont la beauté fascine et agace, de son mari Jacky, victime de son amour, et de leur fille Edwina qui a fait du mensonge un art d’être et de vivre. Nous les suivons, nous les perdons, nous les retrouvons au gré des événements et des caprices de la narratrice avec pour toile de fond la peinture acide de la bourgeoisie bordelaise et de la jet-set.  
 

Eléments d’analyse

Christine de Rivoyre est à son affaire dans ce récit-mosaïque, sorte de kaléidoscope de la mémoire, conduit avec une fausse insouciance. Roman, comme l’indique la couverture, mais aussi récit de soi, l’ouvrage mêle souvenirs réels, recomposés et fictifs dans une composition fragmentée qui n’est pas sans rappeler celle des derniers textes de Colette – Le Fanal bleu ou L’Etoile Vesper. La mythomanie du personnage principal – Edwina – semble une métaphore de la création littéraire ; le mensonge du mythomane se nourrit d’une réalité qu’il extravague à la façon de la romancière qui dès la première page confie : « sans vergogne j’embellis l’époque, triant les souvenirs, glissant sur le mauvais lot […] pour laisser la priorité à celles que la gaieté a bousculées selon son caprice, baignées d’une lumière dont je ne sais me passer. » L’auteur du Petit matin et de Boy retrouve ses thèmes de prédilection : l’enfant confronté à la méchanceté des adultes, les travers de la bourgeoise bordelaise, l’atmosphère étouffante des familles sous l’Occupation, sa fascination pour la beauté des êtres et l’amour qu’ils inspirent… La presse de l’époque souligna particulièrement la satire d’un certain milieu bordelais dont la romancière dénonce sans aménité l’intolérance, les faux-semblants et les ridicules allant jusqu’à restituer l’accent de « beurdeux ». Ces portraits à l’acide des oncles et « aunties » mettent en relief ceux beaucoup plus tendres de la grand-mère – un des plus beaux personnages de l’œuvre – des parents, des sœurs et des neveux. « Doux-amer », c’est ainsi que la critique, bien souvent, décrivit le style de la romancière. Rarement cette expression fut plus appropriée à condition d’y ajouter « virtuose », car Racontez-moi les flamboyants est aussi un condensé de « la manière » de Christine de Rivoyre : portraits, dialogues, récits s’enchaînent à un rythme allègre dans une forme d’insouciance comme autant d’exercices de style d’une romancière qui de toute évidence prend plaisir à jouer avec une matière qu’elle maîtrise à la perfection.

Extrait

« – Vous vous arrangez toujours pour que l’on soit heureux.

Ma grand-mère ne fit ni oh ni ah, ne me qualifia pas de petite sotte ou de toquée. Elle resta muette, se redressa sur ses oreillers et, baissant la tête vers la singulière jeune fille qui venait de lui adresser, avec sa brutalité coutumière, une louange que n’importe qui (n’importe qui sauf la loyale complice de la Providence) eût jugée démesurée, elle me parcourut du regard. Je sentis ses yeux m’envelopper, passer autour de mon corps recroquevillé sur le prie-Dieu, monter vers mon visage tendu, mon front, mes cheveux, enfin, porteurs d’une charge d’amour dont je ne crois pas avoir été gratifiée par la suite, au cours déjà long de mon existence, ses yeux s’emparèrent des miens, s’y attardèrent, je les sentis s’approcher de mon âme. Effraction que je soutins sans broncher, sans gêne, qu’il m’arrive de revivre, son poids d’amour inchangé, aux vilaines petites heures, lorsque, rouée par l’insomnie, je ne puis que constater la dégringolade des rêves dont je me suis longtemps nourrie, le sabotage, désormais irréparable, de mes illusions. »