L' ALOUETTE AU MIROIR

L’histoire de l’œuvre

Christine de Rivoyre a raconté dans son livre de souvenirs, Flying Fox et autres portraits, l’histoire de ce premier roman. Contrainte de quitter Le Monde où elle avait été engagée en 1950 comme courriériste à la rubrique arts et spectacles dirigée par Olivier Merlin, elle se retrouve pendant de longs mois dans un sanatorium, à Megève. Elle profite de sa convalescence pour noter quelques souvenirs de sa brève expérience d’attachée de presse des ballets de Champs-Elysées, la compagnie fondée en 1945 par Roland Petit, où dansaient, entre autres, sa cousine, Nathalie Philippart. Ayant soumis son manuscrit à Olivier Merlin celui-ci lui aurait conseillé de le jeter. C’est le romancier Michel Déon, qu’elle venait de remplacer à la direction littéraire de Marie-Claire, qui lui conseille de le publier et le soumet à son éditeur de l’époque, Plon, où le roman paraît en 1955.

Au fil du texte

Anna, jeune étudiante en anglais à la Sorbonne, est invitée par son cousin, Jean Blaise, à assister à une répétition de la compagnie de danse dirigée par Rémy Goslin. D’abord déroutée puis impressionnée, elle est vite adoptée par les danseurs qui l’invitent à s’associer à la vie de la troupe : « On m’arrachait au plus informe des présents, né d’un passé encore plus inexistant, pour m’offrir le ciel et la terre. » A Paris ou en tournée, elle apprend à connaître ces « monstres » que sont les danseurs et décrit leurs grandeurs et leurs misères avec une tendresse et une complicité qui n’est pas sans rappeler celle de Colette à l’égard des petits artistes du music-hall.

Réception

Le roman peut se lire comme un « roman à clés », la plupart des personnages étant, à l’époque, facilement identifiables pour les amateurs de ballets. Ainsi reconnaît-on Roland Petit (Remy Goslin), Zizi Jeanmaire (Pauline Dumontier), Jean Babilée (Nicolas Cassel), Boris Kochno (Ivan Maximov), etc.
Si le roman vaut par sa peinture réaliste du milieu de la danse – ces danseurs, je les ai vus, lui confia Henri Mondor qui avait assisté aux spectacles des ballets russes de Diaghilev -, il frappe l’attention de nombreux écrivains et critiques (Jean-Louis Vaudoyer, Robert Kemp, Emile Henriot, Paul Morand, Maurice Druon…) par son rythme haletant qui tient moins à la construction de l’intrigue qu’à l’écriture même, à cœur battant, où se devine déjà la précision et la nervosité d’un style à la fois réaliste et poétique. Au sujet de Christine de Rivoyre, Louis Calaferte écrit, après avoir lu L’Alouette au miroir : « Je ne connais rien de plus électrique que cette femme au regard vif, net, rapide, un peu mélancolique par instant, au rire coupant qui éclate et surprend. Personnalité qui accroche, qui retient, qui trouble comme ces pages. On ne dit pas aller faire signer votre livre à la librairie, mais on peut dire aller voir celle qui succèdera aux grands noms de la littérature. »
Le roman est en course pour l’Interallié, qui est finalement remis à Félicien Marceau pour Les Elans du cœur. Cet échec lui permet de concourir au prix des Quatre-Jurys, récompensant un ouvrage sélectionné par les grands prix littéraires mais non récompensé, qu’elle remporte face à Antoine Blondin en 1956. Dans la foulée, l’Académie française lui remet le prix Max-Barthou.

Extrait

« Il me sembla lorsqu’elle surgit, insecte blanc ravaudé de noir, que l’air tremblait autour d’elle. Ce qu’elle décrivit, je n’en connaissais ni le sens, ni l’esprit, mais elle le décrivit avec une ardeur si provocante que les autres, je le réalisai, en oublièrent leur mouvement d’ensemble ; ses bras, son cou, ruisselaient de lumière, elle fondait et déchirait, à la fois feu et flèche, l’espace qu’on lui accordait. Je crus qu’elle allait s’étirer d’un bout à l’autre du décor. Le garçon qui avait pris la place de Rémy commençait à unir ses pas aux siens lorsque celui-ci, magnétisé, bondit soudain sur scène et l’écarta. Non jamais ce pas de deux ne sortira de ma mémoire ; Rémy en fit par la suite de mille fois plus savants, mais aucun pour moi ne vaudra celui-là, les longs portés mélodieux succédant aux attaques, aux feintes, cette lutte d’amour que se livraient, au son grêle d’un piano, dans un décor absurde, une fille-serpent corsetée de loques et ce garçon en blouson de cuir. »