LA MANDARINE

L’histoire de l’œuvre

La Mandarine est le deuxième roman de Christine de Rivoyre. Il lui aurait été inspiré par ses amis Jean-Pierre Grédy et Pierre Barillet qui avec leur pièce, Le Don d’Adèle, créé en 1950, avaient connu un succès retentissant. Elle souhaitait transposer dans le roman l’univers de la comédie « avec ses personnages, ses oppositions et ses conquêtes. » Elle choisit de situer l’action dans un hôtel de la rue de Rivoli inspiré de l’hôtel France et Choiseul où elle avait autrefois interviewé Laurence Olivier et Vivien Leigh. Quant à l’héroïne, Séverine, elle souhaitait qu’elle soit à l’opposée d’elle : « Premièrement, elle était très belle, deuxièmement, elle régnait sur sa famille. Le contraire de ce que j’étais. Troisièmement, elle foutait la pagaille. Je trouvais que c’était tout de même assez riche de substance pour composer un roman. »

Au fil du texte

La famille Boulard règne sur un hôtel, situé rue de Rivoli, prisé des touristes et de quelques habitués. Mémé Boul, la grand-mère, y vit avec ses petits-enfants, recueillis après la mort accidentelle de leurs parents. Séverine, l’aînée, et son mari, Georges, gèrent l’hôtel, tandis que Baba et Laurent passent leur journée, enfermés dans leur chambre à écouter et à compose de la musique. Tout irait pour le mieux dans le plus farfelu du monde, si Séverine ne sentait en elle une faim que rien ni personne ne semble pouvoir contenter. A moins que le nouvel occupant de la chambre 51, Toni de Barbarillo, n’y parvienne…

Réception

Ce deuxième roman confirme le statut de nouveau talent des lettres françaises de Christine de Rivoyre. Critiques et écrivains saluent unanimement la sortie de ce nouvel ouvrage, deux ans après L’Alouette au miroir. Du côté de l’Académie française, c’est Henry Bordeaux qui manifeste son enthousiasme : « Madame, bien que vos héros de roman soient très différents des miens, j’ai goûté La Mandarine avec saveur, et si j’étais un de mes confrères féminin ou masculin, je vous choisirais pour le prix Femina ou le Goncourt. » Après Paul Morand, c’est au tour de Jacques Chardonne de déclarer, à deux reprises son admiration : « Un inepte jury a reproché à votre style, je crois, d’être « parlé » et autres négligences. Quelle erreur ! Le style le plus écrit, surveillé, savant. (…) Votre roman est un ravissement. J’ai envie de m’arrêter là. C’est que je n’ai pas l’habitude d’employer de grands mots. (…). C’est le style. Dans le style, il y a tout : le goût, l’intelligence, la grâce du ciel. Je l’ai toujours dit. A présent, j’ai une preuve. Parlant de votre roman ce matin, j’ai dit : respirez-le. »
Malgré les prédictions d’Henry Bordeaux et la présence du roman sur de nombreuses listes (il obtient deux voix au Goncourt), La Mandarine ne recevra aucun prix. L’éditeur et la romancière se consolent en consultant les chiffres des ventes. L’ouvrage est le premier grand succès public de la romancière. Il est rapidement traduit en italien, en allemand, en hollandais, en suédois et bien sûr en anglais. Janet Flanner, qui fut la traductrice de Colette aux Etats-Unis, écrit à Christine de Rivoyre : « You write French so admirably, with such strict talent & phrasing ; the language comes through at its best in its accuracy & brevity in your use of it. »
Le succès du roman doit, bien sûr, à ses qualités littéraires mais également à l’adhésion du public au personnage de Séverine qui incarne en cette fin des années 50 les aspirations à l’émancipation et au plaisir d’une grande partie des femmes françaises. En témoigne la longévité du roman dans la mémoire collective jusqu’à l’adaptation par Edouard Molinaro (voir filmographie) en 1971 avec dans le rôle principal la comédienne préférée des français à cette époque : Annie Girardot.

Extrait

« L’amour me donne faim. Est-ce un crime ? Georges pense que oui, je le sais, je le sens. Dans un instant, je vais détacher ma jambe de la sienne, mon cou de son bras et je roulerai à plat ventre en disant : Que j’ai faim ! Georges s’attend à cette phrase, il la guette comme une réplique indispensable et pourtant chaque fois que je la prononce c’est la même réaction, il se raidit, la douce chaleur de l’amour abandonne son corps ; si j’essaie de le toucher il s’écarte, c’est sa réplique à lui. Pauvre Georges ! Est-ce que je le fais souffrir ? Je crois plutôt que je le gêne. Si ses yeux n’étaient pas déjà clos j’imagine qu’il les baisserait ; cette faim que je sens croître en moi et qu’il lui est impossible de partager lui fait un peu honte.
Au bout de dix ans de mariage une femme ne devrait pas avoir envie de manger après l’amour, mais moi, Séverine, j’ai envie, et c’est une sensation que je recherche, que je choie ; à vrai dire, je ne saurai m’en passer. Non, l’amour ne serait pas complet sans cette morsure à la fois brusque et suave au creux de l’estomac, sans ce lent coup de poing entre les yeux et ces odeurs imaginaires qui naissent de partout, ces visions de rissole et le tendre gouffre d’un four dans le silence nocturne d’une cuisine. »

Extrait audio