LE PETIT MATIN

L’histoire de l’œuvre

Dans Archaka, tombeau littéraire à son ami disparu, Alexandre Kalda, Christine de Rivoyre évoque longuement la genèse du roman. Hantée par les années d’Occupation, par le choc que représenta la réquisition de la maison de sa grand-mère par l’armée allemande, en 1940, et l’atmosphère pesante qui régnait alors au sein « des familles qui n’avaient pour seul lien que le sang », bouleversée par la découverte, après guerre, de la barbarie nazie, elle souhaitait raconter « le destin d’une jeune fille sous l’Occupation » : «  Tout commence sur un détail véridique. Les Allemands logés chez nous avaient réquisitionné les chevaux de mon père. Dans le roman, un officier allemand monte le cheval, elle aussi, elle poursuit le cavalier, la rage au cœur, elle a dix-sept ans. » C’est Alexandre Kalda, jeune romancier rencontré deux ans plus tôt et devenu un ami proche, qui lui suggère de renoncer à une issue seulement et banalement tragique au profit d’une histoire d’amour : « Ce serait mieux, il me semble, une histoire d’amour entre la jeune fille et le cavalier. » Le roman fut en grand partie écrit dans la maison du petit Puy Blanc, à l’extérieur d’Onesse, que Christine de Rivoyre loua plusieurs années avant de reprendre la maison maternelle.

Au fil du texte

« Les Landes, en 1941. Nina, 17 ans, vit dans un village entre sa grand-mère, sa tante, toutes deux détestables, et son père. Sa mère est morte. Elle est amoureuse de son cousin Jean et des chevaux. Elle adore monter à cheval au petit matin, dans la forêt. Mais les Allemands sont là. Nina tuerait bien celui qui se permet de monter sa jument, Querelle. Elle fera pire en succombant à l’étrange douceur du cavalier ennemi, passant avec lui un pacte de chair scandaleux… » (Extrait de la quatrième de couverture)

Réception

Le roman paraît quelques semaines avant les événements de mai 68 sans que cela semble entamer son formidable succès critique et public. François Nourissier et Robert Kanters, parmi les plus influents et respectés critiques de l’époque déclarent leur enthousiasme : « J’abats tout de suite mon jeu : j’aime Le Petit matin » (F. Nourissier), « Disons tout de suite que le talent est là, le grand talent, avec une sorte d’insolence » (R. Kanters). La presse unanime salue la naissance d’un grand écrivain se fondant à la fois sur l’approfondissement du sujet (la guerre, la tragédie amoureuse) et la maîtrise d’un style rapproché de celui de Colette dans l’évocation des chevaux et de la forêt landaise. Pressenti pour le Goncourt et pour le Grand Prix de l’Académie française, le roman reçoit à l’automne le prix Interallié confirmant la consécration de l’écrivain. A juste titre considéré comme le chef d’œuvre de Christine de Rivoyre, Le Petit matin a fait l’objet d’une réédition dans la collection « Les Cahiers Rouges » où sa publication fut saluée par Bernard Pivot et Jérôme Garcin : « Par sa construction, son écriture rapide à la ponctuation économe, par son style nerveux, vif, comme les personnages souvent à cran, toujours sur le motif, toujours en haleine, ce livre est d’une incroyable modernité. Il est bluffant. » (B. Pivot), « Elle n’a pas son pareil pour traduire le parfum des tilleuls, la sveltesse des érables, le piquant des araucarias, la grosse tête perdurable des pins et, dans la futaie à claire-voie, le petit matin blanc, « d’un blanc bleuté de buvard ». Tous les romans de Christine de Rivoyre sont de terribles courroux tempérés par la beauté du monde. » (J. Garcin)

Adaptation

Le roman a fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Jean-Gabriel Albicocco en 1971. Contrairement aux précédents films tirés de ses romans, Christine de Rivoyre laissa au réalisateur le soin de rédiger le scénario et les dialogues. Le rôle de Nina était interprété par Catherine Jourdan et celui du Cavalier par Matthieu Carrière. On notera également dans la distribution la présence de Jean Vilar (le père) et de Madeleine Robinson (tante Cracra). Tourné en large partie dans les Landes, le film est marqué par l’esthétique onirique du réalisateur et par l’érotisme de certaines scènes qui « explique » que le film fut à sa sortie interdit au moins de 18 ans – interdiction qui fait sourire aujourd’hui. Le film est actuellement indisponible à la vente ; un projet de restauration et de réédition est en cours.

 

Le roman a également fait l’objet d’une adaptation pour une comédienne et une musicienne, créée en 2018 à Onesse-Laharie par Sabine Haudepin (récitante) et Myriam Lafargue (accordéoniste).

Extrait

« Il est là, derrière moi, je dirige la reprise sur le terrain de manège, à Marotte. Le matin est blanc, d’un blanc bleuté de buvard, c’est la nuance, j’imagine, de la création du monde. A l’automne dernier, les chênes corsiers ont été dépouillés de leur liège, les troncs sont lisses, d’un brun chaud de chocolat, les branches vert de gris, à cause de la mousse. Entre les oreilles de Querelle, je vois vibrer la lumière du préprintemps […]. Nous trottons au long des barrières du terrain, j’écoute le corps de ma jument si intimement lié au mien, rêne droite, pied gauche, nous passons au galop, j’ai l’impression que je peux lui demander n’importe quoi, demi-volte, changement de pied en douceur. Je deviens elle. Elle devient moi. »