LE SEIGNEUR DES CHEVAUX

L’histoire de l’œuvre

Christine de Rivoyre est revenue en 2007, dans Archaka, sur la genèse de ce « conte philosophique à l’intention des lecteurs de tous âges », co-écrit avec son compagnon de l’époque, l’écrivain Alexandre Kalda : « Nous avons, Alexandre et moi, écrit, Le Seigneur des chevaux en 1968, très précisément en mai 1968. […] Alexandre et moi nous ne pensions qu’à Saïd, le fils du Buveur d’Air et de la Fille du Vent. Nous lui offrions la plus douce des enfances en compagnie d’une chamelle appelée Ourida-la-Rose. Et puis, le tintamarre voisin finissant quand même par nous influencer, nous avons exposé Saïd à la fureur des hommes. » Si l’idée d’un cheval comme héros avait été inspirée à Christine de Rivoyre par la lecture des mémoires d’Abd El-Kader, l’écriture du conte témoigne de la complicité de la romancière et du jeune auteur, de dix-sept ans son cadet […] : « La joie comme la liberté, Alexandre n’avait aucun mal à les décrire et moi, si lente d’habitude, c’est bien simple, à sa suite, je galopais. Les aventures de Saïd se bousculaient sur la page blanche. Mon partenaire s’en emparait, les complétait, en ajoutait d’autres. » Dans Flying-Fox, elle précisera cette répartition : « chacun son chapitre, chacun son point de vue et ses mots, mais portés par le même élan, la même envie de présenter à ceux qui achèteraient notre livre, un ami dont les aventures seraient comme un réconfort, sa sagesse, un dérivatif à leurs misères quotidiennes. » Seule entorse à sa récente et fructueuse collaboration avec les éditions Grasset, l’ouvrage fut d’abord édité, en 1969, par Julliard, dans une édition illustrée par Jacqueline Duhême. L’ouvrage fut réédité par Grasset en 1985.

Au fil du texte

« Le narrateur, ici, qui se penche sur son passé et réfléchit à ses aventures, n’est pas un homme, mais mieux qu’un homme, peut-être : un cheval. Et quel cheval ! Né dans le Grand Désert, Saïd a bien compris les leçons de son premier maître : « Mohammed me voulait droit, franc et léger. » Et c’est en effet « droit, franc, léger », que Saïd part à la découverte du monde moderne, à l’est et à l’ouest, portant sur les bizarreries des civilisations le regard neuf d’un cheval qui vaut bien le regard du Persan d’un certain Montesquieu. » (Présentation de l’éditeur)

Réception

Si le conte semble avoir trouvé son public comme en témoignent les nombreux courriers de lecteurs, il ne semble pas avoir suscité de nombreux articles dans la presse de l’époque. Sans doute sa sortie a-t-elle été éclipsée par le prix Interallié remis, quelques mois plus tôt, au Petit matin. Dans les quelques interviews auxquelles se prêtent ensemble les deux auteurs, ils sont le plus souvent interrogés sur leur collaboration et sur les événements de Mai.

A la question « Le Seigneur des chevaux, serait-ce un peu vous ? » posée malicieusement par Gilles Dutreix, Alexandre Kalda répond : « C’est nous deux, Christine et moi. Nous avons la même soif d’absolu, le même besoin de rêver, la même certitude que les choses doivent être belles, la même conception du monde. Aucune différence d’âme entre nous. » Dans ce même entretien, il évoque un autre projet commun – un roman intitulé I love you qui aurait mis en scène Régine Crespin confrontée à deux bandes rivales de vampires, une sorte de Twilight avant l’œuvre dont on pourra regretter (ou pas) qu’il n’ait pas abouti. Christine de Rivoyre qui avait marqué ses distances à l’écart des « débordements » de Mai, tient, quant à elle, à préciser sa pensée : « Je suis révoltée contre les concepts bourgeois, contre le conformisme. J’ai toujours refusé tout ce qui pouvait être une installation. J’ai toujours eu peur d’un établissement social. Je ne supporte pas le contrat. » Ce conte équestre a-t-il gardé quelque chose de l’époque et de ses aspirations ? C’est ce que pensait Alexandre Kalda qui, à l’occasion de la réédition de l’ouvrage en 1985, écrivait à Christine de Rivoyre : « En relisant notre conte pour la énième fois, je me suis rendu que c’est un vrai livre pop et ça m’a fait plaisir : les Beatles, les Moody Blues, Saïd n’est pas en mauvaise compagnie. »

 

Extrait

« On m’a comparé à l’éclair et au feu et aux animaux les plus nobles. Ma tête est aussi large que celle du sanglier. Mon œil s’allonge comme celui de la gazelle. Mon encolure ondule comme celle du lièvre. Je suis aussi gai que l’antilope, aussi résistant que le chameau. L’hirondelle est ma sœur. Je bats la perdrix à la course et je dis à l’aigle :

– Descends ou je monte vers toi.

Mon père s’appelait le Buveur d’Air. C’était l’étalon le plus recherché dans la tribu des Ouled Naïl. Sa robe était blanche comme le lait de chamelle. Et sa crinière flottait, couleur de nuage et tressée de fils d’or les jours de fête. Et sa queue tombait jusqu’au sol.

Ma mère se nommait la Fille du Vent. Sa robe et ses crins semblaient tissés dans la nuit. Elle était sobre, vigoureuse et sans malice. Et notre maître, Mohammed-ben-Moktar, l’appelait aussi sa perle noire.

Ma naissance était prévue pour un certain matin d’avril. La caravane de mon maître devait s’arrêter quelques jours dans une oasis, et j’aurais découvert la lumière en même temps que l’ombre. Et mes yeux de poulain auraient d’abord joué avec le doux balancement des palmes dans le ciel, mais le destin en a voulu autrement. Et je suis né en plein désert et en pleine nuit. »