LE VOYAGE À L'ENVERS

L’histoire de l’œuvre

Ce neuvième roman aurait été inspiré à Christine de Rivoyre par une croisière dans les îles grecques, mais le cadre idyllique (la mer, le soleil) du récit n’est, en fait, pour la romancière qu’un nouveau prétexte pour remonter le temps et retrouver l’Amérique, les souvenirs de ses années d’étudiante à Syracuse et ses étés à Cape Cod. Par son sujet, le roman se rapproche de La Tête en fleurs et de La Glace à l’ananas, qui avaient déjà pour cadre l’Amérique, et par ses personnages et par la satire du monde de la presse et du tourisme de masse du roman précédent Fleur d’agonie. L’originalité du Voyage à l’envers vient de ce que l’action est vue à travers le regard d’un homme : Foulques, dit Fou. Si ce n’est pas la première fois que la romancière a recours à ce procédé (voir La Glace à l’ananas), ce choix se complique d’une source autobiographique : « Fou, c’est moi. Ma misanthropie, mes manques de méfiances, mon angoisse et en même temps ma très calme acceptation de l’âge et de la mort, au bout. » Christine de Rivoyre a mis beaucoup d’elle-même, de ses désirs avoués ou cachés, de ses rêves et de ses regrets, dans une œuvre où s’exprime la pleine maîtrise de son style (« il faut faire du classique avec du pittoresque » confiait-elle à propos du roman). L’oeuvre est dédiée à Joan Phelan Tuttle, amie fidèle, rencontrée dans les années 40 à Syracuse et qui inspire le personnage d’Allison.

Au fil du texte

Clara, rédactrice en chef d’un grand magazine féminin loue un bateau en Grèce et organise une petite croisière en mer Egée. Elle y invite deux hommes. Son amant au beau prénom ancien de Foulques, que ses amis appellent Fou, quadragénaire séduisant et rêveur. Et son collaborateur au journal, Jean-Loup, beau jeune homme invité pour faire nombre et que les femmes laissent indifférent.
Au hasard des escales, Jill, une jeune femme aux cheveux « blond fraise » rejoint l’équipage. L’arrivé de Jill replonge Fou dans les souvenirs de ses 20 ans, lorsqu’il fit la connaissance aux Etats-Unis, d’une autre blonde, la douce Allison qu’il aima mais laissa partir. Le premier, le seul grand amour d’un jeune Fou dans l’île de Nantucket, chère à Melville, où il a vécu avec elle, le plus bel été de son existence. Avec cette passagère inespérée, Fou entreprend un « voyage à l’envers ».

Réception

De l’aveu même de la romancière, Le Voyage à l’envers connut « un bon succès de presse et un correct – sans plus – succès de vente » après l’immense succès de Boy, quatre ans plus tôt. Il faut dire que la concurrence était rude avec la sortie posthume du Temps des amours de Marcel Pagnol, dont plus de 500.000 copies d’écoulèrent, et du nouveau Françoise Sagan : Le Lit défait. « Ses lecteurs, et ils sont nombreux, vont retrouver avec joie Christine de Rivoyre. Pareille à elle-même ? Oui et non. Oui parce que dans ce roman en comédie de mœurs à quatre personnages, s’allient une fois de plus l’art pur et l’observation aiguë, le sarcasme et la tendresse, la désinvolture gaie et la profondeur un peu amère qui composent le style et le ton de cet écrivain. Non, parce que, pour la première fois, elle se glisse dans la peau d’un homme, mais qui lui ressemble comme une sœur. », écrit Jacqueline Piatier dans Le Monde.
Pierre de Boisdeffre, dans La Revue des deux mondes, dira son intérêt pour le sujet : « j’ai pris beaucoup de plaisir à retrouver dans le récit de Mme de Rivoyre, cette Amérique des années 50 que j’avais découverte à Harvard et à Cape Cod… une Amérique universitaire et provinciale, encore puritaine.» Et apprécie « le mécanisme proustien du souvenir » déclenché chez le narrateur lors de sa rencontre amoureuse.
Et c’est avec ce roman que Bernard Pivot, le fondateur de la grande émission littéraire télévisuelle des années 70, l’a pour la première fois interviewée dans le cadre d’une série diffusée pendant l’été « Ah ! vous écrivez ? » où le journaliste rendait visite aux auteurs dans leur résidence d’été

Anecdotes

Le roman s’est d’abord intitulé La Mauvaise humeur, en référence à l’état d’esprit du personnage de Foulques pendant la croisière, puis le choix de la romancière s’était arrêté sur un autre titre Fou d’Amérique, mais celui-ci ayant été déjà choisi par Yves Berger, elle dut y renoncer.

Extrait

« [Allison] mon fantasme, ma fixation, mon alibi, la plaie de mon existence, la cause de tous mes maux. Elle que je n’ai jamais su ni garder ni perdre, avec laquelle je n’ai jamais rompu mais pour qui je n’ai jamais su me décider, changer de vie, de pays, lutter, construire. Elle avec qui je me suis conduit, comme avec ma fameuse botanique, en amateur, parce que je préfère le songe à la réalité et que je trouve ça plus commode, plus confortable, moins périlleux, une histoire sans conclusion, un roman inachevé. »