ARCHAKA

L’histoire de l’œuvre

Christine de Rivoyre fait la connaissance d’Alexandre Kalda (Jehan de Vismes, 1942-1996), à Tunis, en 1966. De vingt ans plus jeune que la romancière, il s’est fait connaître à l’âge seize ans en publiant chez Grasset son premier roman, Tantale. Tourmenté, épris d’absolu, ausi inquiet que sûr de lui, le jeune homme en rupture de ban attendrit la romancière. Ensemble, il forme un couple en vue dans le Tout-Paris littéraire et mondain des années 60 où personne n’ignore les préférences d’Alexandre Kalda qui dans ses romans aborde de façon aussi crue que directe la question de son homosexualité. C’est sur un tout autre plan que se situe la relation. Alexandre Kalda encourage Christine de Rivoyre à explorer de nouvelles voies lors de l’écriture du Petit matin, publiera avec elle un conte philosphique et poétique, Le Seigneur des chevaux, et élaborera d’autres projets littéraires communs. Mais après avoir découvert les textes et la pensée de Sri Aurobindo, Alexandre Kalda décide de tout quitter pour rejoindre l’Ashram de Pondichéry. A neuf reprises, Christine de Rivoyre fera le voyage en Inde pour le rejoindre et accueillira Alexandre à Kalda dans sa maison des Landes lors de ses retours en France. Les nombreuses lettres qu’ils échangent pendant plus de vingt ans témoignent de la force des liens qui les unissent. En 1996, Christine de Rivoyre apprendra la mort brutale de son ami, dont le corps sans vie a été retrouvé sur une plage. Cette nouvelle anéantit la romancière et fait taire en elle tout désir d’écrire. Il lui fallut près de vingt ans avant de reprendre l’écriture pour un texte d’hommage à son ami disparu dans la tradition des tombeaux littéraires.

Au fil du texte

Le point de départ d’Archaka est le décès d’Alexandre Kalda le 7 février 1996. La romancière tente de saisir le mystère de la mort brutale de son ami en ramenant à la surface les souvenirs de leur vie partagée, mais aussi les grandes étapes du parcours de Jehan de Vismes, alias Alexandre Kalda, alias Archaka depuis son enfance jusqu’à sa retraite spirituelle à Pondichéry. Le récit est rythmé par les fréquentes citations des lettres d’Alexandre Kalda à l’écrivaine et les digressions de celle-ci .

Réception

Difficile de rattacher Archaka à un genre littéraire identifié. A la fois biographie et récit de soi, l’ouvrage s’articule autour des lettres qu’Alexandre Kalda écrivit à Christine de Rivoyre depuis Pondichéry. A partir de citations de cette correspondance, la romancière développe des anecdotes, s’arrête sur un visage, développe une pensée et dans un récit apparemment fragmenté tente d’approcher le mystère « Archaka » dont le nom en sanskrit signifie « celui qui apporte la lumière ». Devoir de mémoire, désir de comprendre, mais aussi volonté de réhabiliter l’écrivain. Ainsi la publication d’Archaka est-elle contemporaine de celle de Promenade en Inde signé Alexandre Kalda. La romancière et membre du jury Médicis dut user de toute son influence pour faire paraître ces deux volumes qui, hélas, ne rencontrèrent pas le succès public passé. Elle en conserva une certaine amertume malgré le soutien de ses amis de toujours Bernard Pivot et Jérôme Garcin. L’ouvrage mérite d’être aujourd’hui redécouvert autant pour les informations biographiques qu’il contient que pour le récit inédit de cette relation hors-norme dont l’influence fut décisive sur la vie et la carrière de la romancière. 

Extrait

« Ni approximatifs, ni mous ni mode. Archaka ne tâtonne pas avec le langage, c’est un fou d’exactitude, la clarté est sa priorité, sa manie, son obsession. S’il avoue un penchant pour les termes savants ou rares, voire précieux, il ne les utilise que lorsque c’est indispensable. Difficile de pas être tout ouïe quand il me décrit cette Inde où il s’est fait parachuter à l’âge de trente-deux ans. Bien sûr, ma tête de vieille Occidentale élevée par des religieuses est un peu beaucoup cabossée, mais ça va, je m’accroche, l’invitation au voyage me plaît, vaillamment je m’efforce d’aller au-delà de cette attraction, d’entrebâiller, puis d’ouvrir ce qui en moi n’a pas été franchement recherché. Jamais, bien sûr, restons modeste, je ne saisirai toutes les subtilités de la culture indienne, de sa pensée. Mais ce n’est pas du tout ce à quoi s’attend Archaka. De lui même il dit volontiers : « Je suis vraiment indianisé » et il a raison. Sa connaissance de l’Inde (connaissance est sans doute son mot favori), l’azur brûlant qu’il lui porte, ont fait de lui un vrai Indien. 

Moi je ne suis là qu’en visite, mais c’est ainsi : à chacun de mes neuf voyages, le premier datant de janvier 1979, dès l’atterrissage à Madras et pendant les trois – ou quatre – heures du trajet Madras-Pondichéry, rien ne me déconcerte, ne me pèse, tout m’exalte et m’annonce la couleur : cette fois encore cela va bien se passer, le séjour me sera bénéfique. »