LA GLACE À L'ANANAS

L’histoire de l’œuvre

La Glace à l’ananas est le deuxième roman américain de Christine de Rivoyre après La Tête en fleur. C’est aussi le dernier roman qu’elle publie aux éditions Plon. Le sujet lui a été inspiré dès 1960 par l’affaire Caryl Chessman, le plus célèbre condamné à mort de l’après-guerre aux Etats-Unis dont le sort avait ému le monde entier. La romancière envisageait au départ de raconter l’histoire à travers le regard d’une des victimes de Chessman. Elle choisit finalement un adolescent, Jim O’Grady, qui lui aurait été inspiré par une rencontre aussi malencontreuse que drolatique lors de ses études à Syracuse (voir le chapitre « Big baby » dans Flying Fox).

Au fil du texte

Jim O’Grady, quatorze ans et huit mois, est en révolte contre son milieu, celui des immigrés irlandais, contre son père, « le flic le plus chouchouté de Buffalo », contre la justice américaine qui s’apprête à exécuter « le bandit à la lumière rouge ». Ses camarades, trop immatures, ne le comprennent pas. Heureusement, il y a Priscilla Chun, « la glace à l’ananas », une ravissante bibliothécaire de vingt ans originaire d’Hawaï… Elle, peut-être, saura comprendre ce désir, cette rage de vivre et d’aimer qui ne demande qu’à s’exprimer.

Réception

Le roman dérouta la critique de l’époque. Des soutiens fidèles, comme le critique Robert Kanters, exprimèrent nettement leur déception. On pensa à une pochade, un pastiche manqué de L’Attrape-cœur de Salinger. Seule Jacqueline Piatier, alors directrice littéraire du « Monde des livres », perçut dans ce mince volume la continuité d’une œuvre et d’un style singulier dans la littérature des années 50 : « cette conteuse-née, aussi ardente que frêle, qui va son petit bonhomme de chemin, sciemment, sûrement, en dévoilant de mieux en mieux à chaque ouvrage, ce qui lui fait parmi nos écrivains sa place à part : un merveilleux don de langage, un style charnu, juteux, d’une saveur douce-amère comme un fruit sauvage qui excite l’appétit, surprend, charme, pique les yeux et laisse après dans la bouche un arrière-goût triste. Je crois bien que ce don, elle ne l’a jamais aussi bien manifesté qu’ici, à travers ce jeune garçon – genre voyou tendre – qui est son seul personnage et fait le récit de son premier amour. »
Ce roman se rapproche du précédent, La Tête en fleurs, par le cadre américain mais aussi par les préoccupations sociales et même politiques (racisme, maccarthisme, peine de mort) que la romancière partage avec sa grande amie Joan Phelan Tuttle, rencontrée lors de ses études à Syracuse.
Jim O’Grady, premier héros masculin de l’œuvre, annonce une exploration du désir masculin que la romancière prolongera dans Le Voyage à l’envers, en 1977. Avec ce personnage, Christine de Rivoyre inaugure également une série de personnages d’enfants et d’adolescents. Par sa révolte, Jim annonce Nina dans Le Petit matin, de même que les recherches stylistiques pour exprimer le cœur et l’âme d’un enfant préfigurent la création d’Hildegarde dans Boy.
Dans Flying Fox, Christine de Rivoyre se montre sévère à l’égard de ce « mince roman » qui, pourtant, connut un certain succès public à sa sortie. Certaines notations sur la sexualité, notamment féminine, pourront gêner le lecteur contemporain qui se gardera de tout jugement a posteriori pour replacer le propos dans le contexte des années 50 et celui de l’œuvre.

Extrait

« Si vous croyez que c’est toujours marrant d’être un garçon de quatorze ans et huit mois, vous vous trompez. Souvent, très souvent, c’est la barbe. Surtout quand votre père est flic à Buffalo, dans l’Etat de New York. Ca m’embête de commencer par lui, mais c’est comme ça, il le fait. Il faut que je commence par parler de mon père, Patrick W. O’Grady, le flic le plus chouchouté de Buffalo, un Irlandais qui chante en patois d’Irlande de vieilles chansons crétines qu’il comprend tout juste. Vous parlez comme il est Irlandais, mon vieux, il est né à Buffalo, mais ça fait chouette, quand on est flic, surtout quand on a trois bières de trop dans le nez, de chanter des trucs idiots en patois de Killarney. Car c’est à Killarney qu’ils sont nés, les vieux O’Grady, les pauvres types qui bouffaient des patates en Irlande avant de se planquer ici où, au moins pour bouffer, on a le choix. Moi, je n’aime pas les patates, d’ailleurs. Tu parles si j’aurais mis les voiles, de Killarney, surtout que ça doit être un rien moche, Killarney, en Irlande, en Europe où il n’y a que des sauvages, des femmes à poil et des voleurs. »