CRÉPUSCULE TAILLE UNIQUE

L’histoire de l’œuvre

« Ce livre, c’est d’abord une ballade pour un cheval perdu » confiait Christine de Rivoyre aux journalistes. Il lui fut, en effet, inspiré par la mort, à 32 ans, de son cheval Mektoub, le joli barbe qui l’avait suivie de Barbizon à son refuge d’Onesse, et par son enterrement dont le long et déchirant récit ouvre le roman. Plus que jamais, réalité et fiction se rejoignent dans l’histoire de ce nouvel opus du « cycle landais » débuté avec Le Petit matin, en 1968. 

Le roman se construit en deux parties inégales. La première consacrée au récit de la mort du cheval à travers le regard de l’héroïne, Nora, la seconde qui, sur le mode narratif de Boy, alternent les paroles et les points de vue de Nora, d’une parti, et de Gaby, d’autre part, un ami de Nora, coiffeur homosexuel rejeté par la communauté villageoise dont le destin tragique entre en écho avec la mort du « Buveur d’Air ». Crépusculaire, cet avant-dernier roman de Christine de Rivoyre, l’est à plus d’un titre : enterrement nocturne du cheval, destin tragique du personnage de Gaby, mais aussi maturité d’une femme confrontée à la solitude. »

Au fil du texte

Dans un petit village landais, une femme, Nora, veille son cheval mourant. Une agonie qui dure toute une nuit. Elle est seule dans cette épreuve avec ses trois chiens. Le jeune homme que Nora a aimé vaque à ses occupations. Mais elle n’aurait que faire de sa présence. Heureusement, il y a des voisins et surtout un ami, Gaby, un ancien coiffeur d’un bourg du coin, tous viennent à la rescousse. La mort du cheval va réunir Nora et Gaby qui chacun à leur tour donneront leur point de vue…

Réception

La critique est unanime pour reconnaître que l’on trouve dans ce livre de magnifiques pages sur les Landes. Plus que jamais la romancière est reconnue comme la « Colette des Landes » dans son traitement des êtres vivants (« Pour moi, les êtres vivants sont tous égaux, bien que différents. J’aime les êtres et je suis curieuse de les connaître ») mettant en parallèle la vie des hommes et des bêtes qu’elle appréhende d’un même regard bienveillant. Le livre est d’ailleurs dédié à sa chienne adorée, Sabine. Le journaliste du Monde rapproche l’héroïne, Nora, à la fois de Margot, « solide et efficace », dans Belle Alliance et Nina, la jeune fille ivre de romantisme du Petit matin.
La critique salue également aussi la prouesse, déjà remarquée dans Boy (1973), d’un livre composé à deux voix, et la maîtrise du style. La mort du cheval et son inhumation sont saluées par la presse comme un morceau d’anthologie («le plus beau morceau de bravoure qu’ait écrit Christine de Rivoyre ») et au-delà la maîtrise d’un style qui tire le roman du côté de la poésie : « Si incarné qu’il soit, si bruissant de dialogue, si peuplé de gens pittoresques, il n’est pas un récit. Il se situe ailleurs. N’ayons pas peur des mots. Il appartient à la poésie. »
Consécration, elle est reçue sur le plateau d’Apostrophes, la grande émission littéraire de l’époque, créée par le journaliste Bernard Pivot, devenu plus tard président du Goncourt, et dont elle a été l’invitée régulière depuis la première d’Ouvrez les Guillemets en 1973.

Anecdote

C’est en achetant une paire de bas, modèle « Crépuscule », taille unique, dans un grand magasin que lui est venue l’idée du titre. La romancière trouvait également que le mot « crépuscule » convenait à l’histoire de son héroïne confrontée à la solitude et à un nouvel âge de sa vie : « Le crépuscule, la vieillesse, c’est taille unique pour tout le monde, sans distinction de race ni de milieu. »

C’est à partir de ce roman que se noue une amitié épistolaire entre Christine de Rivoyre et Brigitte Bardot.

Extraits

« Mon retour datait de plusieurs années. Je les avais consacrées au Buveau d’Air. Quels que fussent la couleur du ciel et le degré atteint par le mercure du baromètre, nous partions comme deux complices. A peine le portail franchi, le cheval gris levait le cul, salut ma fille, merci vaurien, il recommençait, la balade promettait d’être joyeuse, elle était plus que ça, la joie même. »

« La forêt des Landes est un monde. Pour peu que l’on s’y aventure au moment propice, que l’on fasse durer l’exploration de façon convenable, butes, collines, vals, vallées, sentiers riches en tournants et en surprises, allées si longues qu’elles vous semblent rejoindre le ciel, fossés, ravins de toutes tailles, obstacles inattendus, les cadeaux qu’y offre une nature comparable à nulle autre sont d’une extrême variété (…). C’est la forêt magique du Petit Poucet, c’est la jungle amicale où les chevreuils ont remplacé les loups, une brousse peuplée de sources et de ruisseaux qui chantent, c’est le paradis rude et singulier que je me suis choisi et tant pis si c’est trop tard pour lui en préférer un autre. » (Crépuscule taille unique, 1989)