BIOGRAPHIE

L’été de l’enfance (1921-1940)

Les lecteurs de Christine de Rivoyre voudraient faire naître l’auteur du Petit matin dans les Landes, mais c’est à Tarbes que Christine Berthe Claude Denis de Rivoyre voit le jour le 29 novembre 1921. Son père, François Denis de Rivoyre, officier de cavalerie, emmène à sa suite dans les différentes villes de garnison où il est envoyé son épouse, Madeleine Ballande, et leurs cinq enfants : Ghislaine, Christine, Louis, Eliane et Jacquette.

La romancière s’amusera plus tard de la présence dans sa généalogie familiale de deux voyageurs au long cours : Maurice Ballande dont la famille créa des comptoirs dans les Colonies françaises du Pacifique et Louis Denis de Rivoyre, « Louis de la Mer Morte », fondateur du port d’Obock à l’origine de la colonie de Djibouti, auteur de plusieurs récits de voyages publiés chez Plon.

Son enfance est marquée par les fréquents séjours dans la maison des grands-parents maternels à Onesse-et-Laharie et par les étés en villégiature à Hendaye. Elle y découvre le contact physique avec la nature, la mer et les chevaux mais également la défiance à l’égard du monde des adultes.

L’enfance, c’est aussi les études en pension au Sacré Cœur, d’abord celui de Bordeaux puis celui de Poitiers. Période d’intense bonheur où la jeune fille goûte le silence et la découverte de la littérature. Elle conservera toute sa vie le souvenir ému des sœurs du Sacré Cœur et des rites associés à la vie du pensionnat de jeunes filles fondé en 1801 par Madeleine-Sophie Barat.

Folle d’Amérique (1940-1950)  

De santé fragile, Christine de Rivoyre doit renoncer à de longues études de botanique à l’université de Bordeaux. Elle part à Paris et s’inscrit à la Sorbonne pour y étudier l’anglais et la civilisation américaine.

En pleine Occupation, Paris est une ville déserte, étrangement calme. Sur le moment, la jeune femme ne perçoit pas, comme la plupart des Français, la tragédie qui est en cours. Ce n’est qu’après la guerre qu’une prise de conscience violente se fera en elle, incarnée, bien plus tard, par Hélène Berr, née comme elle en 1921 et sa condisciple sur les bancs de la Sorbonne.

C’est presque par hasard que Christine de Rivoyre apprend, après deux ans d’études, que l’université propose des bourses pour partir étudier le journalisme aux Etats-Unis. L’étudiante se prend à rêver à la Louisiane où vivent encore des membres de la famille d’Alice de Saulles, sa grand-mère paternelle. Au mois de septembre 1947, elle fait sa rentrée à l’Université de Syracuse, état de New York, où l’attendent la neige et le froid…

Formée aux techniques contemporaines du journalisme, elle prend pour modèle le New Yorker dont elle apprécie la rigueur alliée à la plus grande fantaisie. Très vite, elle fait la connaissance de celle qui sera l’amie de toute une vie, Joan Phelan Tuttle, dite Turtle (Tutrle dove = colombe). De ces années américaines, la future romancière tirera la matière de plusieurs romans (La Tête en fleurs, 1960 ; La Glace à l’ananas, 1962 ; Le Voyage à l’envers, 1977).

Les années au Monde (1950-1955)

De retour à Paris, la jeune apprentie-journaliste travaille un temps comme attachée de presse des Ballets de Champs-Elysées, créés après-guerre par Roland Petit, et où danse sa cousine Nathalie Philippart, épouse de Jean Babilée, inoubliable interprète du Jeune Homme et la Mort.

Elle est alors repérée par le journaliste, Olivier Merlin, qui lui propose de travailler pour Le Monde dans la rubrique arts et spectacles dont il a la charge. Le quotidien de Beuve-Méry tire parti de sa parfaite connaissance de l’anglais pour lui confier notamment les interviews d’artistes américains ou anglais de passages à Paris : William Faulkner, Charlie Chaplin, Spencer Tracy, Bette Davies, etc.

Pendant cinq ans, elle annonce et commente les spectacles de danse, les expositions mais également les pièces de théâtre. C’est ainsi qu’elle se lie avec Jean Vilar, qu’elle retrouvera plus tard sur le tournage du Petit matin, et avec le duo Jean-Pierre Grédy et Pierre Barillet qui deviendront des amis très proches.

Mais « le journalisme est une carrière à perdre le souffle » comme l’avait écrit Colette. Avec regret, elle doit quitter Le Monde et partir dans un sanatorium en Suisse. Profitant de son repos forcé, elle décide d’écrire en s’inspirant de ce qu’elle connaissait alors le mieux : le monde de la danse.

Premiers succès (1955-1963)

L’Alouette au miroir paraît aux éditions Plon en 1955. Premier essai, premier succès. Le roman est repéré par la critique et par plusieurs académiciens, parmi lesquels Paul Morand et Emile Henriot, qui lui décernent le prix Max-Barthou de l’Académie française. Quelques mois plus tard, elle reçoit le Prix des Quatre Jurys récompensant un des grands favoris des prix de la rentrée littéraire.

Deux ans plus tard, La Mandarine, évocation d’une famille farfelue propriétaire d’un hôtel de la rue de Rivoli, est un nouveau succès. Sa première phrase, « L’amour me donne faim », est restée célèbre. 80.000 exemplaires s’arrachent en quelques semaines. Voilà Christine de Rivoyre lancée dans la carrière.

Cela n’échappe pas au très puissant patron de presse Jean Prouvost qui demande au directeur de publication Hervé Mille de confier la direction littéraire du magazine Marie-Claire à la jeune romancière qui succède à ce poste à Michel Déon.

Pendant douze ans, elle sollicitera des textes originaux d’auteurs contemporains au talent prometteur et qu’elle sait adroitement imposer à une direction plutôt frileuse et conservatrice. Certains deviendront ses amis : Félicien Marceau, Michel Déon, François Nourissier.

Un auteur Grasset (1963-1966)

En 1963, les éditions Plon traversent une crise intérieure grave. Le limogeage de Charles Orengo, le directeur littéraire, entraîne le départ de nombreux auteurs, à commencer par Michel Déon. Malgré le succès des quatre romans publiés par la maison d’édition, Christine de Rivoyre décide, à son tour, de partir.

François Nourissier, rencontré deux ans plus tôt, l’invite à rejoindre les éditions Grasset. Avec Bernard Privat, le neveu du fondateur devenu directeur éditorial, il est alors à l’origine du renouveau de la maison d’édition crée en 1907. Il en sera, pendant de longues années, l’éminence grise.

Les Sultans, d’inspiration largement autobiographique, paraît en 1964 sous la célèbre couverture jaune. C’est un succès. La critique retient notamment la longue description des embouteillages parisiens, au début du livre, qui n’est pas sans évoquer les expérimentations littéraires des tenants du Nouveau Roman.

Christine de Rivoyre débute avec ce roman une collaboration éditoriale durable. Avec Christiane Rochefort, Françoise Mallet-Joris et Edmonde Charles-Roux, elle sera pendant plus de trente ans une des « locomotives » des éditions Grasset.

Le Petit matin (1968)

La rencontre, en 1966, d’Alexandre Kalda, jeune prodige des lettres françaises, marque un tournant dans la vie et dans l’œuvre de Christine de Rivoyre. De 21 ans son cadet, ouvertement homosexuel, il a publié son premier roman, Tantale, à l’âge de 16 ans.

Très cultivé, d’un tempérament à la fois sombre et flamboyant, il séduit la romancière rencontrée à Tunis à l’occasion de la remise du Prix des Quatre Jurys à Albertine Sarrazin. A la fin des années 60, ils forment un couple en vue, et ce malgré les critiques et les sarcasmes.

Alexandre Kalda l’encourage alors qu’elle est engagée dans un travail d’écriture difficile et douloureux, loin des comédies sentimentales drôles et acides qui avaient marqué ses débuts.

Un peu plus de vingt ans après la Libération, elle offre à ses lecteurs un livre fort, d’une beauté stylistique saisissante, et à la littérature, un de ses chefs d’œuvre : Le Petit matin.

Le livre sort en 1968, en plein cœur des révoltes étudiantes, et connaît un succès formidable, couronné par le prix Interallié. La presse salue la naissance d’un grand écrivain.

Au cœur de la vie littéraire (1968-1976)

Christine de Rivoyre est, au début des années 70, un écrivain reconnu.

En 1971, deux de ses romans sont tour à tour adaptés au cinéma. La Mandarine, réalisé par Edouard Molinaro avec un casting prestigieux : Annie Girardot, Madeleine Renaud, Marie Hélène Breillat, Philippe Noiret, Murray Head et Jean-Claude Dauphin. Le Petit matin, réalisé par Jean-Gabriel Albiccoco avec Catherine Jourdan, Mathieu Carrière, Madeleine Robinson et Jean Vilar.

Cette même année, Christine de Rivoyre rejoint le jury du prix Médicis. Créé en 1958 à l’initiative de la mécène Gala Barbisan, le jury réunit alors les principaux représentants du Nouveau Roman et de l’avant-garde intellectuelle : Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Roland Barthes, Marthe Robert…

Christine de Rivoyre s’entend à merveilles avec tous ses membres, guidée par son inlassable curiosité pour les démarches littéraires d’autres auteurs, fussent-elles éloignées de son propre univers.

Paradoxalement, c’est à cette période que la romancière, devenue une figure incontournable de la vie littéraire parisienne, décide de quitter la capitale pour s’installer définitivement dans les Landes, dans la maison de sa mère à Onesse-et-Laharie.

Mademoiselle des Landes (1976-1995)

Libérée de sa charge de directrice littéraire de Marie-Claire, Christine de Rivoyre doit faire face, sur un plan personnel, à la défection d’Alexandre Kalda, parti en Inde mener une quête mystique, et de la plupart de ses amis, Pierre Barillet, Jean-Pierre Grédy, Félicien Marceau et Michel Déon, occupés par leurs carrières et une vie sociale et mondaine à laquelle la romancière ne veut pas participer.

À la mort de sa mère, elle décide de reprendre la maison familiale, située en plein cœur du village d’Onesse-et-Laharie, et de s’y installer. Dans son « désert élu », elle retrouve la joie de monter à cheval et de parcourir la lande et redécouvre, grâce notamment aux écrits de Félix Arnaudin, le patrimoine d’une région profondément liée à son histoire familiale. Elle en fera, dès lors, une de ses principales sources d’inspiration.

En 1973, paraît Boy. Après Le Petit matin, Christine de Rivoyre remonte un peu plus loin dans ses souvenirs, aux étés de son enfance à Hendaye et aux années qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale.

Le public est, une fois de plus, sensible à l’évocation du monde de l’enfance et à la satire drôle et mordante de la bonne société bordelaise. Plus de 500.000 exemplaires sont vendus.

La romancière poursuivra sur des modes différents son exploration des Landes dans plusieurs romans qui tous connurent un immense succès populaire. Belle Alliance (1982), Crépuscule taille unique (1992) et Racontez-moi les flamboyants (1995) forment avec Le Petit matin un « cycle landais » et imposent l’image de la « demoiselle des Landes ».

A Onesse (1995-2007)

Racontez-moi les flamboyants, sort en 1995 et vient clore en quelque sort « le cycle landais ». À 74 ans, Christine de Rivoyre publie un de ses livres les plus féroces – et un des plus drôles – contre les faux-semblants de la bourgeoisie bordelaise.

Depuis quelques années, la romancière doit faire face à une série de disparitions qui la marquent profondément et durablement. Marie Lacoste, génie de l’enfance qui lui inspira le personnage de Maria Sentucq, meurt à Onesse en 1981  ; on retrouver le corps sans vie d’Alexandra Kalda sur une plage de Pondichéry, le 7 février 1996 ; enfin, Joan Phelan Tutlle, sa chère Turtle, la meilleure amie rencontrée pendant ses années d’études à Syracuse, est emportée par un cancer en 1998.

La douleur fait taire chez la romancière tout désir d’écrire ou de créer. Quarante ans après la publication de L’Alouette au miroir, au terme d’une carrière littéraire couronnée de succès et de prix, la romancière abandonne l’écriture.

Elle vit désormais auprès de ses chiens et de ses chevaux et consacre l’essentiel de son temps à la lecture et s’engage activement au sein d’associations de défense du patrimoine landais et défense des animaux, notamment la fondation de son amie Brigitte Bardot.

Ecrire encore (2007-2019)

« Je vais écrire encore, il n’y a pas d’autre sort pour moi. » (Colette)

En 2003, les éditions Grasset republient dans la collection « Les Cahiers rouges », Boy suivi en 2008 par Le Petit matin. Les critiques saluent l’initiative qui permet à un nouveau public de découvrir deux chefs d’oeuvre de Christine de Rivoyre.

Encouragée par ce succès, la romancière sort de son silence et publie en 2007, comme pour exorciser la mort d’Alexandre Kalda, Archaka, évocation émouvante de son ami tragiquement disparu.

Cinq ans plus tard, elle cède à la sollicitation pressante du président de la Société des amis de Colette, Frédéric Maget, sensible à la parenté très forte entre les œuvres de Colette et de Christine de Rivoyre. Elle accepte de se livrer au jeu des confidences pour ce qui devait être au départ un livre d’entretiens et qui donnera finalement naissance à une création originale.

Cinq ans plus tard, elle accepte de se livrer au jeu des confidences pour ce qui devait être au départ un livre d’entretiens et qui se révélera finalement une création originale : Flying Fox et autres portraits, sorti à l’automne 2014, un livre « à sauts et à gambades », ni autobiographie ni mémoires, où l’auteur du Petit matin part à la rencontre des personnages qui ont marqué sa vie.

« Je ne suis pas faite pour mourir » déclarait la romancière. Elle qui jusque dans le grand âge avait conservé sa capacité d’émerveillement et d’indignation fut soudainement rattrapée par la vieillesse. Elle s’éteint le 3 janvier 2019, à l’âge de 97 ans. Avec elle disparaît une des voix les plus justes et les plus sincères de notre littérature.