BELLE ALLIANCE

L’histoire de l’œuvre

Contrairement à l’habitude qui veut qu’on adapte un roman pour le grand ou le petit écran, Belle Alliance fut, au départ, un scénario, écrit à la demande de son amie Nicole Courcel pour une série de quatre téléfilms produite par TF1 : « Quatre femmes quatre vies ». Avec Yvette Chaussende (assistée de Robert Mazoyer), Geneviève Dormann et Hortense Dufour, Christine de Rivoyre fut une des quatre romancières sollicitées. La réalisation en fut confiée à Renaud de Dancourt et Nicole Courcel interprétait le rôle principal (voir filmographie). Le roman, adapté du scénario, parut un an plus tard, en 1982.
L’action et les personnages s’inspirent du retour dans les Landes de l’écrivaine qui, au milieu des années 70, avait fait le choix de quitter la capitale pour s’installer dans la maison de sa mère, à Onesse-Laharie. Belle Alliance est sans doute le roman le plus landais de Christine de Rivoyre. Sous sa plume revivent les paysages, mais aussi les personnages, émouvants ou pittoresques (Marie Lacoste, Mimi Lensalade, etc), la figure cardinale de sa mère et la maison d’Onesse-Laharie qui accède ici au rang de personnage au cœur de l’oeuvre.

Au fil du texte

Une femme, Margot, la quarantaine, s’enfuit de Paris et quitte brusquement Manuel, son amant de cinéaste qui renonce au dernier moment à leur projet de voyage en Crète dont ils avaient rêvé ensemble aux motifs qu’il doit s’occuper de ses deux jumelles, les « Leslie-Rose », et que Margot le « couve trop ». L’héroïne se réfugie à Belle Alliance, sa maison landaise où sa mère, Louisa, est morte quelques années auparavant. Elle s’enfonce dans la solitude jusqu’à l’arrivée d’Isa la merlette, Isa, l’écuyère, apparue un jour d’orage dans l’allée de Belle Alliance. Elle avait demandé l’hospitalité et avec ses amis cavaliers, ils avaient ensoleillé les derniers jours de Louisa. Mais aujourd’hui pour Isa tout va mal : nerfs, sous, ménage, le restaurant dont elle a repris la gestion avec son mari. Elle est au bord de la dépression. Margot va l’aider à son tour et tenter de sauver cette famille. Elle se met au fourneau, fait les comptes, bouscule le mari qui l’agace, se prend d’affection pour les enfants insupportables et redécouvre, à travers ce sauvetage, le goût de son propre bonheur…

Réception

Dès sa sortie, le livre a connu un franc succès, public et critique, bénéficiant d’un fort tirage.
La critique fut unanime à déclarer que Belle Alliance était un chef d’œuvre.
Le jury du prix Interalliés qui avait déjà couronné Le Petit matin (1968) regrette de ne pouvoir renouveler l’attribution. Le président du Goncourt, François Nourrissier, dit son admiration : « Jamais Christine de Rivoyre n’avait donné aussi libre cours à ses tentations profondes, qui sont d’aimer, les yeux fermés, aussi bien la peau des enfants que celle des hommes, la fragilité des jeunes femmes, celles des jardins et les yeux tendres et fous de tous les animaux… du côté d’Onesse-Laharie, au fond de la forêt landaise, nous possédons une grande romancière solitaire, rieuse, imprévisible, qui s’est installée tranquillement au sommet d’elle-même, au plus secret d’elle-même, pour notre plaisir. » Du côté de l’Académie française, le Secrétaire perpétuel, Maurice Druon marque son enthousiasme : « C’est un roman d’amour, de toutes les amours, amour d’une terre, d’un pays, d’une maison, amour du souvenir, amour de la vie, amour de l’amitié et même amour de l’amour.» Dès la sortie de l’ouvrage, ses confrères et consoeurs, ses lecteurs et lectrices témoigent de leur admiration. La romancière et critique littéraire Françoise Xénakis, dans sa chronique au Matin des livres, s’émerveille une nouvelle fois « Un roman aussi drôle que féroce, aussi barbare que doux… Christine de Rivoyre a su nous donner là un merveilleux moment de vie. »
Trois ans après la sortie du roman, Christine de Rivoyre reçoit le Prix Paul Morand de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.

Anecdotes

Belle Alliance s’inspire largement de personnages réels, figures émouvants et pittoresques des Landes de Christine de Rivoyre. Parmi eux, signalons Renée Lensalade, dite Mimi Lensalade, alais Liline du Bidaou dans le roman, dont la famille avait repris le restaurant « Au Rescapé », à Saint-Girons, devenu, notamment dans les années 50 un haut lieu de la gastronomie et de la sociabilité landaise.

Extrait

« Immobile, une main sur le portail, Margot recensa tous les détails du lieu familier, ceux qui avaient précédé sa vision et ceux qu’elle n’avait pas eu le temps de rassembler : outre les chênes et les érables, outre les lauriers et les camélias, les trois magnolias, le catalpa et la haie de rosiers sauvages qui séparait le jardin de ce qui avait été un champ de maïs et une vigne. Dépêche-toi de planter des pins dans ce champ, avait dit Louisa, peu de temps avant de s’en aller, sinon Dieu seul sait ce que l’on y construira. Margot avait obéi. Une forêt de jeunes pins aux aiguilles vert tendre cernait maintenant la partie nord de la propriété, ils avaient grand besoin d’être ébranchés, éclaircis. Depuis quand ne suis-je pas venue ? se demanda Margot, le cœur serré, et sa mémoire l’emporta, au-delà de brefs séjours qu’elle avait faits à Belle Alliance au cours des neuf dernières années, jusqu’à ce mois de mai où sa mère l’avait quittée dans l’odeur suave, poignante, désormais si cruelle, des seringas. Elle avait jonché le lit, le cercueil puis la tombe de leurs fleurs si blanches, si légères. Aujourd’hui ils sont nus, et les rhododendrons n’ont plus une fleur, la haie des rosiers n’a pas une rose. Ah, tous ces ne, ces pas, ces plus, cette succession de négations, de dérobades, d’absences, ma mère morte, mon amant qui m’abandonne, l’écriteau effacé, les pins oubliés, les seringas qui ont passé fleur, la vie en forme de vide. Mais le vide n’a pas de forme, il n’est qu’une couleur pour moi, blême, fatale, comme la cendre, je suis une femme de cendre, dit Margot. »