FLYING FOX

L’histoire de l’œuvre

La mort tragique d’Alexandre Kalda en 1996 mit fin à quarante ans de création romanesque : « les mots m’avaient fuie » confiera-t-elle. Plusieurs de ses éditeurs et de ses amis lui conseillèrent d’écrire ses souvenirs. Parmi les plus obstinés, François Nourissier qui, en 1995, dans le long article qu’il consacrait à Racontez-moi les flamboyants exprimait ses regrets qui étaient en fait un souhait et, sans doute, un plaidoyer pro domo lui qui avait pratiqué l’exploration de soi comme un ascète : « Je ne peux m’empêcher d’espérer le livre de souvenirs que Christine de Rivoyre pourrait écrire. Elle est, certes, trop bien élevée pour préférer les aveux aux chères ruses du roman ! Quel dommage de se priver du frémissement que donnerait le risque accepté de la vraie première personne à un texte goûteux, touchant, rigolo, moqueur. » Christine de Rivoyre déclina. Elle pensait avoir dit l’essentiel dans une œuvre qui, il est vrai, était largement d’inspiration autobiographique. C’est sa passion pour Colette qui en décida autrement. En 2010, le nouveau président de la Société des amis de Colette, lors d’une rencontre, la persuada de se lancer dans un livre d’entretiens qui reviendrait sur les grandes étapes de sa vie et ses principales œuvres. Pendant un peu plus d’un an, à raison d’un rendez-vous par semaine, Christine de Rivoyre se confia. Mais au moment de transcrire ces entretiens, l’écrivaine, en elle, s’éveilla et ses confidences devinrent peu à peu le matériau à partir duquel elle bâtirait une nouvelle œuvre, moins souvenirs ou mémoires que témoignages sur celles et ceux – hommes et bêtes – qui l’avaient accompagnée. Suprême élégance de l’écrivaine et de la cavalière qui décida d’intituler ce livre du nom d’un cheval de légende…

Au fil du texte

L’ouvrage est composé, selon l’expression empruntée à Montaigne, « à sauts et à gambades » enchaînant les sujets (lieu, personne, thème) sous la forme de courts chapitres eux-mêmes répartis en neuf parties sans titre, qui, dans l’ensemble, suivent un fil chronologique de l’enfance à la maturité. Les visages de personnalités connues du monde du spectacle ou de la littérature côtoient les anonymes, les hommes et les bêtes, sans jamais s’appesantir, l’ouvrage ne prétendant pas être un témoignage mais plutôt une collection d’images éparses et fragmentaires, une promenade au fil de la vie.

Réception

Ni mémoires, ni autobiographie, ni journal intime, la romancière choisit d’évoquer les différentes périodes de sa vie à travers une série de portraits ou d’anecdotes, sans jamais s’attarder sur le détail qui pourrait relever de l’intime ou de la confession, comme si elle avait souhaité faire un portrait en creux, retrouvant un peu d’elle-même – une trace – dans le visage des autres. Elle, qui aimait à la fin de sa vie se comparer à un vieux papillon posé sur « sa » branche, emprunte au vol de l’insecte chamarré, butinant de fleur en fleur. Le caractère composite de l’ouvrage est accentué par la diversité des formes et des genres mis en œuvre : récit, portrait, lettre, dialogue… Une sorte d’exercice de style qui fait de l’ouvrage un testament littéraire autant qu’un témoignage sur une époque. A sa sortie, l’ouvrage fut chaleureusement accueilli par la presse grâce notamment au soutien de ses fidèles amis Bernard Pivot et Jérôme Garcin et d’un certain nombre d’écrivains qui reconnaissaient en elle « la petite sœur impertinente des hussards ». Les articles sont dans leur ensemble l’occasion d’un premier bilan sur l’œuvre et le parcours de la romancière dont tous reconnaissent le ton et le style sensible dès la première phrase, bouleversante dans sa simplicité : « J’aime mon père depuis qu’il est mort. » L’image de la cavalière est souvent convoquée pour saluer l’élégance et la hauteur de ses « antimémoires » qui refusent de céder à « l’égolâterie » contemporaine. Toutefois, l’ouvrage au titre énigmatique aussi bien pour les libraires que pour les lecteurs ne sut trouver son public. Très âgée, Christine de Rivoyre ne put le défendre à la radio ou à la télévision, manquant, hélas, ce dernier rendez-vous.

Extrait

Qui a eu une enfance heureuse ? Vous, peut-être ? Pas moi. Et pourtant, j’aimais sincèrement mes parents. Mais l’enfance quelle plaie, quelle barbe. Surtout à l’époque où j’ai vécu la mienne. Être soumise en tout. Être habillée, coiffée, selon le goût des autres. Ces horribles cheveux courts alors que je rêvais des longues chevelures des Petits filles modèles, des anglaises d’Alice au Pays des merveilles. Et cette calamité, un hiver, Ghislaine et moi englouties dans des manteaux identiques, verts, vert chou je crois me rappeler. Avec des ceintures en cuir. Comme des baudriers de soldats. J’ai refusé de me regarder dans la glace. Au jour de l’An, nous sommes allées souhaiter la Bonne Année aux Ballande de la place Pey Berland, « Oncoulandré » et « Antéjeanne ». Lui, il avait été décoré comte du pape, ça ne le rendait pas plus accessible et elle, une dame volumineuse, le regard balayeur. Pas le moindre souvenir de leurs propos. Une fois dans la rue, j’ai crié : « C’est la dernière fois que je vais chez Antéjeanne. » Maman m’a donné raison, elle a jeté les deux baudriers, donné les manteaux à je ne sais qui. Et l’été, comme d’habitude, nous avons regagné le Pays basque, Hendaye. J’ai récupéré la mer, la plage, les vagues. Et les superbes athlètes du club des hippocampes. Un été heureux. Il y en a eu d’autres ? Mis bout à bout, ça fait peut-être une enfance heureuse.